Portrait physique et moral
C'est un homme de taille moyenne, légèrement bancal.
Il a le teint clair, l'œil vif, le regard franc et
droit, voire hautain, l'attitude digne, la démarche
traditionnellement fière de ses ancêtres, de son père en
particulier.
Il est intelligent, se tient au courant de toutes les
affaires du royaume. Rapportant son sens aigu des
problèmes pendant les discussions avec Bayol en décembre
1889, d'Albéca écrit : "la diplomatie perd son latin en
présence de l'entêtement du prince". De Cuverville le
trouve, lors des négociations de 1890, "astucieux,
vindicatif, d'un orgueil immodéré", cependant "généreux
quand il le faut".
"Instinct guerrier, audace, courage (…), ruse, finesse
sont ses "qualités natives" qui développées, réunies,
fortifiées par l'étude, par l'instruction et par
l'expérience" auraient fait de Gbêhanzin une
personnalité plus remarquable encore.
Conditions d'accession au trône
Vers la fin des années 1880, le roi Glèlè, pris par
l'âge tombe malade et ne put gérer les affaires
courantes du royaume. Le prince Kondo, Vidaho (1),
est convié à Djègbé par le roi qui lui confie les
dossiers brûlants tels que les négociations avec les
Français sur la cession de Kutonu (Cotonou).
Mais il est utile de savoir qu'avant cette étape, Kondo
s'était fait raser la tête et envoya à son père les
cheveux pour lui signifier qu'il était assez âgé pour
gouverner, car il grisonnait déjà. Pour répondre à son
fils, le roi lui fit porter un "akoko" (2)
et une houe. Par là, le roi indiquait à Kondo qu'il ne
devra s'occuper que du commerce et de l'agriculture. "Si
jamais tu te livrais à la guerre, tu ruinerais le
royaume...", lui aurait-il dit.
Le prince Kondo est intronisé le 30 décembre 1889 et
prend le nom de Gbêhanzin.
Les noms forts et leur signification
Comme la plupart des rois, il a deux noms forts. Son
nom est tiré de la phrase Gbè hin azin bo aï djrè :
"L'univers tient l'œuf que la terre désire". Son
deuxième nom fort "Le requin en colère vient troubler la
barre", illustre sa volonté de défendre chaque pouce de
la terre de ses aïeux contre les Français.
Ses symboles sont :
Les rivalités avec les Français
Le nouveau roi doit faire face à l'ingérence
française sur son territoire et résoudre en même temps
les problèmes socio-politiques que lui pose son
entourage.
Pendant les deux premières années, 1890 et 1891, la
volonté d'intervention des expansionnistes, négociants
et politiciens, devient déterminante.
La phase décisive peut être située entre le 17
février et le 30 mars 1891. Le Sous-secrétaire d'Etat,
Eugène Etienne a pris en main la politique coloniale.
Pour lui, "le royaume de Danhomè était un verrou qu'il
fallait sauter pour atteindre l'hinterland". Dès lors,
la cause était entendue pour que l'armée française ne
lésinât pas sur les moyens pour parvenir à cet objectif
essentiel à l'expansionnisme tel qu'énoncé par les
politiques.
Il faut noter que le roi Gbêhanzin n'est pas non plus resté inactif. Entré en contact avec les Allemands, il fait réarmer ses soldats par des fusils et des canons perfectionnés. Il a même réussi à faire intégrer dans l'armée danhoméenne des Allemands et des Belges.
Trois temps forts sont à considérer dans le déroulement des opérations militaires :
Nous avions alors la certitude de conduire notre armée à la victoire. Quand mes guerriers se levèrent par millier pour défendre le Danhomè et son roi, j'ai reconnu avec fierté la même bravoure que manifestaient ceux d'Agadja, de Tégbessou, de Ghézo et de Glèlè. Dans toutes les batailles j'étais à leurs côtés.
Malgré la justesse de notre cause, et notre vaillance, nos troupes compactes furent décimées en un instant. Elles n'ont pu défaire les ennemis blancs dont nous louons aussi le courage et la discipline. Et déjà ma voix éplorée n'éveille plus d'écho.
Où sont maintenant les ardentes amazones qu'enflammait une
sainte colère ?
Où, leurs chefs indomptables : Goudémè, Yéwê, Kétungan ?
Où, leurs robustes capitaines : Godogbé, Chachabloukou, Godjila ?
Qui chantera leurs splendides sacrifices ? Qui dira leur générosité ?
Puisqu'ils ont scellé de leur sang le pacte de la suprême fidélité, comment
accepterais-je sans eux une quelconque abdication ?
Comment oserais-je me présenter devant vous, braves guerriers, si je signais le
papier du Général ?
Non ! A mon destin je ne tournerai plus le dos. Je ferai face et je marcherai. Car la plus belle victoire ne se remporte pas sur une armée ennemie ou des adversaires condamnés au silence du cachot. Est vraiment victorieux, l'homme resté seul et qui continue de lutter dans son cœur. Je ne veux pas qu'aux portes du pays des morts le douanier trouve des souillures à mes pieds. Quand je vous reverrai, je veux que mon ventre s'ouvre à la joie. Maintenant advienne de moi ce qui plaira à Dieu ! Qui suis-je pour que ma disparition soit une lacune sur la terre ?
Partez vous aussi, derniers compagnons vivants. Rejoignez Abomey où les nouveaux maîtres promettent une douce alliance, la vie sauve et, paraît-il, la liberté. Là-bas, on dit que déjà renaît la joie. Là-bas, il paraît que les Blancs vous seront aussi favorables que la pluie qui drape les flamboyants de velours rouge ou le soleil qui dore la barbe soyeuse des épis.
Compagnons disparus, héros inconnus d'une tragique épopée, voici l'offrande du souvenir : un peu d'huile, un peu de farine et du sang de taureau. Voici le pacte renouvelé avant le grand départ.
Adieu, soldats, adieu !"
in Jean Pliya, Kondo le requin, Ed. du Bénin,