Le roi Gbêhanzin est l'avant-dernier roi de la lignée des Agassouvi sur le plateau des Guédévi. Il succède à son père, Glèlè (1858-1889). Il est celui dont le règne coïncide avec l'expansion coloniale européenne en Afrique, notamment la colonisation française. Ainsi, Gbêhanzin est connu comme le roi ayant opposé une résistance farouche à l'invasion coloniale de la terre de ses aïeux.
Gbêhanzin : un roi au destin singulier
D'après les traditions orales, le prince Kondo a connu une enfance austère comme les autres princes du royaume. Très tôt, il aurait été à l'école du roi Adandozan (1779-1818), déchu par le prince Gankpé, futur roi Ghézo (1818-1858). La rigueur, l'intégrité et les idées révolutionnaires développées par Adandozan au cours de son règne ont certainement eu une grande influence sur le prince Kondo.

Portrait physique et moral
C'est un homme de taille moyenne, légèrement bancal. Il a le teint clair, l'œil vif, le regard franc et droit, voire hautain, l'attitude digne, la démarche traditionnellement fière de ses ancêtres, de son père en particulier.
Il est intelligent, se tient au courant de toutes les affaires du royaume. Rapportant son sens aigu des problèmes pendant les discussions avec Bayol en décembre 1889, d'Albéca écrit : "la diplomatie perd son latin en présence de l'entêtement du prince". De Cuverville le trouve, lors des négociations de 1890, "astucieux, vindicatif, d'un orgueil immodéré", cependant "généreux quand il le faut".
"Instinct guerrier, audace, courage (…), ruse, finesse sont ses "qualités natives" qui développées, réunies, fortifiées par l'étude, par l'instruction et par l'expérience" auraient fait de Gbêhanzin une personnalité plus remarquable encore.
 

Conditions d'accession au trône
Vers la fin des années 1880, le roi Glèlè, pris par l'âge tombe malade et ne put gérer les affaires courantes du royaume. Le prince Kondo, Vidaho (1), est convié à Djègbé par le roi qui lui confie les dossiers brûlants tels que les négociations avec les Français sur la cession de Kutonu (Cotonou).
Mais il est utile de savoir qu'avant cette étape, Kondo s'était fait raser la tête et envoya à son père les cheveux pour lui signifier qu'il était assez âgé pour gouverner, car il grisonnait déjà. Pour répondre à son fils, le roi lui fit porter un "akoko"  (2) et une houe. Par là, le roi indiquait à Kondo qu'il ne devra s'occuper que du commerce et de l'agriculture. "Si jamais tu te livrais à la guerre, tu ruinerais le royaume...", lui aurait-il dit.
Le prince Kondo est intronisé le 30 décembre 1889 et prend le nom de Gbêhanzin.


 

Un règne mouvementé

Les noms forts et leur signification
Comme la plupart des rois, il a deux noms forts. Son nom est tiré de la phrase Gbè hin azin bo aï djrè : "L'univers tient l'œuf que la terre désire". Son deuxième nom fort "Le requin en colère vient troubler la barre", illustre sa volonté de défendre chaque pouce de la terre de ses aïeux contre les Français.
Ses symboles sont :

 

Les rivalités avec les Français
Le nouveau roi doit faire face à l'ingérence française sur son territoire et résoudre en même temps les problèmes socio-politiques que lui pose son entourage.
Pendant les deux premières années, 1890 et 1891, la volonté d'intervention des expansionnistes, négociants et politiciens, devient déterminante.

La phase décisive peut être située entre le 17 février et le 30 mars 1891. Le Sous-secrétaire d'Etat, Eugène Etienne a pris en main la politique coloniale.
Pour lui, "le royaume de Danhomè était un verrou qu'il fallait sauter pour atteindre l'hinterland". Dès lors, la cause était entendue pour que l'armée française ne lésinât pas sur les moyens pour parvenir à cet objectif essentiel à l'expansionnisme tel qu'énoncé par les politiques.

Il faut noter que le roi Gbêhanzin n'est pas non plus resté inactif. Entré en contact avec les Allemands, il fait réarmer ses soldats par des fusils et des canons perfectionnés. Il a même réussi à faire intégrer dans l'armée danhoméenne des Allemands et des Belges.

Trois temps forts sont à considérer dans le déroulement des opérations militaires :

                                                 

Discours d'adieu de Gbêhanzin

"Compagnons d'infortune, derniers amis fidèles, vous savez dans quelles circonstances, lorsque les Français voulurent accaparer la terre de nos aïeux, nous avons décidé de lutter.

Nous avions alors la certitude de conduire notre armée à la victoire. Quand mes guerriers se levèrent par millier pour défendre le Danhomè et son roi, j'ai reconnu avec fierté la même bravoure que manifestaient ceux d'Agadja, de Tégbessou, de Ghézo et de Glèlè. Dans toutes les batailles j'étais à leurs côtés.

Malgré la justesse de notre cause, et notre vaillance, nos troupes compactes furent décimées en un instant. Elles n'ont pu défaire les ennemis blancs dont nous louons aussi le courage et la discipline. Et déjà ma voix éplorée n'éveille plus d'écho.

Où sont maintenant les ardentes amazones qu'enflammait une sainte colère ?
Où, leurs chefs indomptables : Goudémè, Yéwê, Kétungan ?
Où, leurs robustes capitaines : Godogbé, Chachabloukou, Godjila ?
Qui chantera leurs splendides sacrifices ? Qui dira leur générosité ?
Puisqu'ils ont scellé de leur sang le pacte de la suprême fidélité, comment accepterais-je sans eux une quelconque abdication ?
Comment oserais-je me présenter devant vous, braves guerriers, si je signais le papier du Général ?

Non ! A mon destin je ne tournerai plus le dos. Je ferai face et je marcherai. Car la plus belle victoire ne se remporte pas sur une armée ennemie ou des adversaires condamnés au silence du cachot. Est vraiment victorieux, l'homme resté seul et qui continue de lutter dans son cœur. Je ne veux pas qu'aux portes du pays des morts le douanier trouve des souillures à mes pieds. Quand je vous reverrai, je veux que mon ventre s'ouvre à la joie. Maintenant advienne de moi ce qui plaira à Dieu ! Qui suis-je pour que ma disparition soit une lacune sur la terre ?

Partez vous aussi, derniers compagnons vivants. Rejoignez Abomey où les nouveaux maîtres promettent une douce alliance, la vie sauve et, paraît-il, la liberté. Là-bas, on dit que déjà renaît la joie. Là-bas, il paraît que les Blancs vous seront aussi favorables que la pluie qui drape les flamboyants de velours rouge ou le soleil qui dore la barbe soyeuse des épis.

Compagnons disparus, héros inconnus d'une tragique épopée, voici l'offrande du souvenir : un peu d'huile, un peu de farine et du sang de taureau. Voici le pacte renouvelé avant le grand départ.

Adieu, soldats, adieu !"

in Jean Pliya, Kondo le requin, Ed. du Bénin,