Descendant, de la reine de Saba et du roi Salomon, dont il est le deux
cent vingt-cinquième successeur, l’empereur d’Éthiopie
Hailé Sélassié Ier (ou Haïla Sellassié) est à la tête de la plus
ancienne dynastie du monde. Son titre complet est
négus («roi des rois»), lion de Juda, défenseur de la foi chrétienne, force
de la Trinité, élu de Dieu. Fils du Ras Makonnen, il a reçu pour nom à sa
naissance celui de Ras Tafarí Makonnen (Tafarí : Celui qui est redouté)
; il est, en outre, le neveu de l’empereur Ménélik II, qui, au cours
de son règne, commencé en 1889 et achevé à sa mort en 1913, accomplit les
premiers pas vers la création d’un État unifié et
moderne.
Très tôt, le futur empereur s’initie aux responsabilités du pouvoir. Il a
treize ans, en 1905, lorsque son oncle lui confie le gouvernement de la
province du Gura Muleta. Sa volonté de fer, sa passion pour l’étude (il a
été élève des missionnaires français) l’aident à surmonter les difficultés
que lui suscite son cousin Lij Yassou ; celui-ci, héritier présomptif,
complote avec l’Allemagne contre le pouvoir central. Mais il est bientôt
écarté : en septembre 1916, c’est le ras Tafarí qui devient prince héritier.
Il aide l’impératrice Zaouditou, sa tante, à administrer le pays (qu’on
appelait alors plutôt l’Abyssinie). Considérant que «l’Éthiopie a reçu
l’évangile du Christ en même temps que les nations d’Occident», le prince
héritier plaide à Genève, en 1923, la cause de son pays. Il y déclare que,
«si les hasards de la géographie et de l’histoire l’ont isolé du monde
occidental pendant des siècles, il est cependant sensible à ses valeurs et
entend remplir les mêmes devoirs à l’égard de la communauté internationale».
Il obtient ainsi l’admission de l’Éthiopie à la Société des Nations et
décide d’y abolir l’esclavage.
Proclamé négus, en octobre 1928, sous le nom de Hailé Sélassié (force de la
Trinité), il est couronné empereur à la mort de
l’impératrice, le 2 novembre 1930, date devenue, depuis lors, jour de
fête nationale. Il donne peu après au pays sa première Constitution écrite ;
cette modernisation des institutions s’effectue toutefois avec prudence. Il
n’hésite pas à solliciter, au fil des années, l’appui technique et financier
de l’étranger. Lorsqu’en octobre 1935 le gouvernement de Mussolini décide
d’envahir l’Éthiopie à partir de l’Érythrée et de la Somalie, l’empereur
oppose une héroïque résistance à la tête de ses
troupes. Mais il est desservi par un armement inférieur et la collaboration
de certains seigneurs avec les Italiens. Il décide alors, en accord avec le
Conseil des ministres et après avoir nommé un vice-roi (le ras Imrou), de
s’expatrier ; en mai 1936, il se retire à Bath, en Grande-Bretagne. La même
année, le 28 juin, il lance le fameux appel à la sécurité collective depuis
la tribune de la S.D.N. à Genève, appel qui ne sera pas entendu (les
sanctions contre l’Italie seront levées). Il entreprend quelques années plus
tard la libération de l’Éthiopie : après avoir rallié les Éthiopiens
réfugiés au Kenya et au Soudan, il vient à Khartoum en juillet 1940
(l’Italie vient de déclarer la guerre aux Alliés) et assure la liaison entre
ses troupes et l’armée anglaise ; le 5 mai 1941, il fait une entrée
triomphale dans sa capitale libérée par les brigades anglo-indiennes avec
l’appui des Forces françaises libres.
Dans son pays recouvré, Hailé Sélassié trouve tout à reconstruire, alors que
l’élite éthiopienne a été décimée par l’occupation. Poursuivant
inlassablement la mission qu’il s’était assignée alors qu’il était jeune
prince, il entreprend de nombreux voyages à l’étranger. Devenu
la figure de proue des pays opprimés, puis du Tiers
Monde et de l’Afrique en particulier (l’Organisation de l’unité
africaine créée en 1963, sur son initiative, a son siège à Addis-Abeba),
Hailé Sélassié travaille sans relâche à parfaire et à affermir l’unité de
l’Éthiopie (incorporation de l’Érythrée, consécutive à un vote unanime du
Parlement de ce pays en novembre 1962 ; visées pacifiques sur le Territoire
français des Afars et des Issas). Mais il a encore à faire face à de
nombreuses difficultés.
Si sa photographie et son nom sont partout dans le pays, si, même aux
yeux de ses adversaires, il a conservé un grand prestige, l’empereur doit
lutter contre l’aristocratie et le clergé pour leur faire accepter des
innovations qui répugnent à leurs habitudes. Il réussit, certes, à
centraliser entre ses mains le pouvoir, mais les propriétaires fonciers
(dont il est matériellement solidaire) et l’Église restent les principaux
obstacles aux initiatives de réforme qu’à son grand âge il pourrait encore
décider.
L’unité éthiopienne se trouve menacée par le Front de libération de
l’Érythrée, qui dispute depuis 1961 la souveraineté à l’empereur. Celui-ci
n’est certes pas prêt de renoncer à cette province du littoral, seule porte
dont l’Éthiopie dispose pour ses échanges avec le monde extérieur. En dépit
de toutes ces difficultés, Hailé Sélassié, dont le
prestige international reste grand, s’est estimé capable, bien
qu’octogénaire, de tenir encore longtemps la barre de son pays.
En septembre 1974, l’empereur est destitué par des soldats
et des sous-officiers. Il est assassiné par les rebelles le 27 août 1975.
La dépouille de l'empereur avait été exhumée
en 1992, un an après la chute du régime marxiste de Mengistu Haïlé Mariam,
et déposée au mausolée d'Addis-Abeba où reposent l'empereur Ménélik II et
trois autres membres de la dynastie. Dimanche 5 novembre 2000, 17h30

Le Rastafarisme
La Jamaïque fut colonisée par l’Espagne au début du XVe siècle, puis,
après le déclin rapide de la population indienne, des esclaves d’origine
africaine furent massivement importés. En 1655, les Britanniques
dépossédèrent les Espagnols de la Jamaïque qui y laissèrent leurs esclaves.
Ceux-ci furent appelés "Marroons". Le terme "Marroon"
prit la signification de "fier et sauvage" au fil du temps. Ainsi, les "Marroons"
se dressèrent contre la domination britannique et menèrent une lutte
acharnée.
La lutte des "Marroons" ne doit pas être assimilée à une simple révolte
d’esclaves. Sa durée dénote une volonté profonde de ne pas se plier à
l’esclavage lié à la forte cohésion ethnique des rebelles. Les leaders
venaient en effet d’une même tribu ghanéenne et le mouvement tenait donc à
affirmer son identité africaine et son indépendance.
Des formes de rébellion apparaissent et caractérisent la volonté de
revendiquer une plus grande liberté à l’image de la "Sam
Sharpe Rebellion" en 1831. Cette révolte menée par l’esclave Samuel
Sharpe s’inscrit dans un contexte critique pour la population noire. En
effet, ceux-ci commençaient à se rendre compte de leur situation
socio-économique : les esclaves haïtiens étaient libres depuis 1815.
Sam Sharpe était parmi les plus instruits et
possédait une puissante influence charismatique. C’est en 1831 qu’il décide
de prendre le commandement d’une grande rébellion qui devait conduire à
l’abolition de l’esclavage.
La rébellion débuta à la fin du mois de décembre à Montego Bay, une baie
située au Nord-Ouest de la Jamaïque. Elle s’étendit rapidement à tout
l’ouest du territoire et poussa les colons à la fuite. Au début de 1832, la
loi martiale fut déclarée et des renforts de troupe envoyés. La révolte fut
alors écrasée en quelques mois et Sam Sharpe exécuté à la fin du mois de
mai. Ce combat conduisit tout de même à l’abolition de
l’esclavage en 1834.
Mais en 1865 un nouveau vent de révolte souffle sur la Jamaïque c’est la
"Morant Bay Rebellion". Cette rébellion se
caractérise par des causes directement liées à la révolte des "Marroons"
dont la majorité étaient devenue planteurs après la fin de leur rébellion.
Elle trouve d’autres fondements dans la situation des anciens esclaves, eux
aussi en grande partie devenus agriculteurs. Or les inégalités subsistaient
bien qu’ils fussent apparemment libres : mauvaise répartition des revenus,
racisme envers les planteurs noirs.
La rébellion prend forme et à l’automne 1865 elle explose à Morant Bay,
au sud-ouest de l’île sous la direction de Paul Bogle. Mais le scénario de
la "Sam Sharpe Rebellion" se répète : plusieurs centaines de paysans
occupent des terres mais la révolte est rapidement matée et Paul Bogle
pendu.
C’est à travers des révoltes comme celles de "Sam Sharpe" ou de "Morant
Bay" que s’est forgée la tradition de résistance à
l’autorité du peuple jamaïcain que l’on retrouve dans le rastafarisme.
La religion venue des Etats-Unis à travers des églises baptistes qui se
sont implantées autour du milieu du XIXe siècle, ainsi le "Great Revival" a
rapidement intériorisé les formes de religions d’origine africaine et est
ainsi devenu un culte syncrétique (fusion de
plusieurs doctrines) mélangeant christianisme et diverses autres pratiques.
Les passages de la Bible sur l’Afrique et l’Ethiopie sont nombreux et peu à
peu, à la lecture des textes sacrés, les regards se tournent naturellement
vers l’Ethiopie : le rastafarisme est naissant.
Le déclencheur de l’érection de l’Ethiopie en "Terre promise" est l’homme
politique d’origine jamaïcaine
Marcus Garvey qui dans
un discours prononcé en 1916 avant son départ pour les Etats-Unis,
prophétise l’accession au trône de Haïlé Sélassié Ier en évoquant le psaume
68 :
« Des grands viennent d'Egypte et d'Ethiopie les
mains tendues vers Dieu. Royaumes de la terre, chantez 0 Dieu, Célébrez le
Seigneur! - Pause. Chantez à celui qui s'avance dans les cieux, les cieux
éternels ! Voici, il fait entendre sa voix, sa voix puissante. Rendez gloire
à Dieu ! Sa majesté est sur Israël, et sa force dans les cieux. De ton
sanctuaire, ô Dieu! tu es redoutable. Le Dieu d'Israël donne à son peuple la
force et la puissance. Béni soit Dieu ! »
Haïlé Sélassié, Roi des Rois, Seigneur des
Seigneurs, descendant du Roi David et donc de Dieu est ainsi annoncé
en 1916 par Marcus Garvey.
Haïlé Sélassié est proclamé négus en octobre
1928. Un autre fragment du discours de Garvey en 1916 le laisse aussi
entrevoir : "Cherchez en Afrique le couronnement d’un roi noir, il
pourrait être le Rédempteur."
Le rastafarisme est avant tout une religion qui se caractérise par ses
nombreux emprunts au christianisme auxquels sont ajoutés une mise en valeur
de l’Afrique et particulièrement de l’Ethiopie
considérée comme la terre promise et donc lieu de rapatriement de
tous les rastafaris. C’est un culte messianique dont le centre est
l’Empereur d’Ethiopie Haïlé Sélassié : la dernière réincarnation de Dieu sur
Terre. Le prophète principal est
Marcus Garvey, dont le
second prénom, Mosiah, fait référence à Moïse, le prophète libérateur des
Hébreux.
Dans les années 30, le rastafarisme était encore peu connu mais le
rôle de Marcus Garvey dans l’émancipation des Noirs d’Amérique a été
majeur.
L’Universal Negro Improvement Association (UNIA) est une organisation
créée en 1914 en Jamaïque par Marcus Garvey et dont la devise était : "Un
Dieu ! Un but ! Une destinée !". Ce mouvement s’est
considérablement développé aux Etats-Unis après l’émigration de Garvey
en 1916. En effet, en 1919, l’UNIA ne comptait pas moins de 30 branches
dans différentes villes des Etats-Unis. Garvey affirmait avoir plus de
200000 membres. Il fonda également un organe de presse nommé The Negro
World, dans lequel il déclara : "l’Afrique doit être vénérée et nous
devons tous sacrifier, notre humanité, notre richesse et notre sang à sa
cause sacrée."
En valorisant la "négritude",
Garvey a contribué
à l’affirmation des noirs dans toute l’Amérique, au même titre que
Martin Luther King
ou Malcolm X. Les
conférences de l’UNIA de 1919 à 1922 connurent des grands succès
populaires. Elles débouchèrent sur la création de firmes industrielles
tenues exclusivement par des noirs et d’une compagnie de construction
navale et de navigation réservées elles aussi aux noirs.
A son retour en Jamaïque en 1927, il fut accueilli
en véritable libérateur et tint une conférence de l’UNIA pour la
première fois en Jamaïque en 1929.
Son impact fut double : tout d’abord, son importance fit prendre
conscience aux rastafaris de l’étendue de la lutte des noirs en Amérique
pour s’affirmer et revendiquer des droits et plus de liberté ; ainsi,
une autre solution que celle du rapatriement en Ethiopie apparaissait,
même si cette idée n’allait vraiment se développer qu’au long des années
1950. La seconde conséquence de cette conférence fut de faire connaître
Marcus Garvey à un grand nombre de jamaïcains et donc de contribuer à
l’élaboration et à l’intégration de ses idées dans le rastafarisme.
Ses thèses principales se définissent selon deux orientations :
- La première, voir en l’Afrique la patrie de tous les noirs immigrés.
Loin d’être un défenseur du rapatriement, Marcus Garvey a cherché à
renouer des liens avec l’Afrique et à mettre l’accent sur
la richesse de la civilisation africaine.
- La seconde orientation principale des thèses de Marcus Garvey est
la religion. Dans ce domaine aussi, il
tient à rattacher le plus possible la Bible à l’Afrique, dans le but d’enlever
aux blancs le monopole de l’enseignement religieux et pour donner
à ses auditeurs le sentiment d’appartenir à un peuple élu et donc
au-dessus de la domination des blancs.
Marcus Garvey avait prophétisé le couronnement de Haïlé Sélassié, il
devint ainsi le prophète de tous les
rastafaris. Des thèses de Garvey sont intégrées à l’idéologie rastafari
comme de saints commandements, tels l’affirmation des noirs par la
revendication, la vénération de l’Ethiopie.
Le mode de vie rastafari se veut respectueux des principes définis par
la Bible. L’apparence extérieure des rastas le prouve. La majorité porte
des nattes et une barbe. Dans la Bible, il est dit : Lévitique, 21:5
:"[…]les prêtres ne doivent pas se faire de tonsure, ni se raser la
barbe sur les côtés, ni se faire des entailles sur le corps."
Mais si certains rastafaris arborent des nattes (appelées dreadlocks)
impressionnantes, il n’est pas rare de voir des rastafaris rasés. En
outre, la Bible précise que cette coutume n’est
obligatoire qu’en cas de deuil. Une autre justification de ces
nattes est la volonté d’imiter les guerriers éthiopiens des siècles
passés qui se caractérisaient
par leur coiffure imposante du fait de leurs nattes tressées comme pour
symboliser un casque.
La sacralisation de l’Herbe est un point important de l’idéologie
rastafari. La Ganja
n’est utilisée que dans la pratique religieuse. On en trouve une
justification biblique dans La Genèse : 3:18: "you shall eat the herb of
the field" , mais aussi dans les Psaumes: 104:14: "C’est toi qui fait
pousser l’herbe pour le bétail, et les plantes que les hommes cultivent
". Ou encore les Psaumes, 18:9 : "Une fumée montait de ses narines […]"
Apocalypse, 22:2 : "[…] Ses feuilles [de l’arbre de la vie] servent à la
guérison des nations."
La visite de Haïlé Sélassié en 1966 est décisive dans le changement
de cap de l’idéologie rastafari. En effet, les principes du rapatriement
et du rejet de la Babylone jamaïcaine y restaient ancrés. Bien qu’elles
ne fussent plus au premier plan dans les années 1960, des tentatives de
rapatriement avaient été tentées jusqu’à la fin des années 1950. La
visite de l’empereur d’Ethiopie en avril 1966 se solda par une dernière
tentative de rapatriement. Mais ce n’était plus qu’un combat
d’arrière-garde.
Haïlé Sélassié dans un discours devant plus 10.000 adeptes proposa aux
rastafaris : "la libération avant le rapatriement". Cela signifie que
les rastafaris doivent libérer Babylone (le monde de l’oppression) avant
de pouvoir espérer un repos mérité en Ethiopie.
L’assimilation de la Jamaïque à Babylone reste présente dans le
rastafarisme même dans les années 1960 et 1970, mais sous une autre
forme. Ce n’est plus le pays tout entier qui est rejeté comme un lieu
étranger; ce qui est dorénavant stigmatisé est la société jamaïcaine, du
moins celle des possédants.
De nos jours le rapatriement en Ethiopie n’est plus une priorité, seul
le combat pour la liberté prime, le rastafarisme s’est répandu sur la
planète entière et touche désormais toute les couches de la population
même si il y a aujourd’hui beaucoup plus de sympathisants que de
pratiquants.